Une Nuit Blanche de Bonheur

Publié le par jpll

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( Lettre à  l’écrivain Maurice Pons )

Cher Monsieur Pons.

Dés le premier, j’ai aimé tous vos livres et je les ai mangés... comme Sébastien mangeait ses voitures jusqu’au dernier boulon, par amour. L’amour fait ventre. Tout ce qui rentre fait ventre. Les mots, c’est pareil.
J’ai gobé tous vos mensonges et cela m’a tellement aidé à vivre.

Il y a quelques jours, Rosa m’a fait une surprise.
Elle m’a dit qu’elle était retournée dans une librairie !
Rosa et moi, nous n’allons plus dans les librairies depuis longtemps : il ne s’y trouve plus de livres, ou bien si peu... des objets-livres plutôt, manufacturés, étiquetés comme des casseroles vides, des produits de gondole, des marchandises de grande surface.
Rosa et moi, nous avons toujours aimé les livres, les vrais, ceux qui sont comme des bouteilles à la mer, des oiseaux qui crient dans la nuit, des bateaux-phares éclairés en plein jour, des billets pour un voyage sans retour dans le mensonge et la vérité.

J’aime vos livres Monsieur Pons, parce que vous savez mentir vrai et qu’en lisant vos livres, je ne vois pas où je vais.

Rosa m’a dit :
“ Je ne sais pas pourquoi, j ’ai ouvert la porte de cette librairie. Dans la rue, il y avait une odeur d’air du large. On avait mis du linge aux fenêtres comme pour drisser des voiles. C’était vraiment étrange, je suis entré dans cette boutique comme malgré moi. Et là, tout de suite, j’ai trouvé les “Délicieuses frayeurs” le nouveau livre de Maurice Pons. “

Il faut dire, la veille au soir, nous avions fini de relire “le Vaisseau des Morts “ de Traven, ce baroudeur qui traversa le monde dans la cale de vieilles librairies anarchistes. Quel voyage, Monsieur Pons. quel plongée dans l’écriture !

Rosa m’a rapporté vos “Délicieuses Frayeurs”.
Votre nouveau livre, enfin!
Rien depuis “Douce Amère” en 1985.
Le ventre creux, Monsieur Pons ! Le ventre vide !


Pourtant il y a quelques années - c’était avant, et avant Rosa - je vous ai aperçu dans le hall d’un théâtre à Marseille. J’étais venu, comme vous, voir comment une compagnie avait adapté votre texte des “Saisons” C’est l’immense acteur et tout petit Denis Lavant qui jouait Siméon. Mais dès la première scène ... j’ai fermé les yeux et j’ai vu, à l’intérieur de moi, le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l’automne, qu’on appelait là-bas, la saison pourrie .
Après le spectacle, je vous ai aperçu qui quittiez le théâtre. Et je vous ai reconnu ..... Après.
Trop tard.

Il y a encore plus longtemps, je me souviens, un soir, j’ai échoué au Moulin d’Andé. La Seine était en crue. La nuit trempait dans l’eau. Les arbres immergeaient leurs ombres bleues. J’étais là bas, quelques jours chez vous, pour un séminaire particulier. Il y avait la pluie qui nous enfermait sans répit. Siméon était passé par là. Nous étions réunis pour le cinéma, à tutoyer le fantôme de Truffaut, votre ami. Et puis quelqu’un m’a dit, après, que vous viviez au Moulin.... Après.


La nuit dernière, Rosa et moi, nous avons lu “Les Délicieuses Frayeurs”.
Nous vivons tout près de la mer, dans une petite maison aux murs clairs, entourée d’un jardin en fouillis, royaume fraternel des chats, des souris et des oiseaux.

Et toute la nuit
dans un raffut de tambours
la mer a lavé son linge
et roulé ses draps
dans un bouillon écru
battu ses torchons
sur la pierre noire du quai.

J’ai ouvert notre fenêtre.
Dehors ça sentait la poudre à lessive des dieux.
Rosa a commencé :
“ ll y avait dans leur chambre  quatre lits blancs,  mais une  seule fenêtre.”

J’écoutai Rosa. Elle suçait vos mots comme des friandises.
Elle a pris son temps, tout son temps : une nuit blanche de bonheur.
Jusqu’à la fin.

Et puis, au petit matin, j’ai plongé dans sa lanterne.
C’est que je l’aime Monsieur Pons.

C’est une lourde envolée d’oiseaux
Un ralentis sur la rétine
Elle s’endort
Toujours la première

L’horizon s’ouvre
Le ciel se renverse
L’ombre s’accroche
Aux bras de l’infini

Et cela s’appelle le jour


Je voulais que vous sachiez comme j’attendais  votre nouveau livre Monsieur Pons !

Et puis aussi, la vérité vraie : Rosa et moi, nous habitons un bâtiment HLM près de l’autoroute A50. Derrière l’immeuble d’en face, on pourrait apercevoir l’étang de Berre, à l’horizon. Les cheminées de la Mède et de Lavéra, à tour de rôle, selon l’humeur des vents, arrosent notre balcon de leur pétrochimie pestilentielle.

Depuis deux mois, je suis aveugle et, bientôt, je le sais, j’appareillerai pour un dernier voyage.

Bien merci à vous Monsieur Pons.






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